Une exploitation responsable des mines africaines est-elle possible ?

Cobalt et coltan, deux ressources au cœur des enjeux de la République démocratique du Congo et de la transition énergétique

Face à l’urgence climatique et à la menace existentielle que constitue la dégradation de l’environnement pour la planète, l’Union européenne (UE) s’est fixée comme ambition d’être la première puissance économique mondiale à être neutre en carbone d’ici 2050. Pour y parvenir, l’UE a présenté à l’été 2021 son Pacte Vert (Green Deal) dont la mise en œuvre s’est traduite par l’adoption d’une série de propositions visant à adapter ses politiques en matière de climat, d’énergie, de transport ou encore de fiscalité et de normes. Plaçant les questions climatiques et environnementales au cœur de son nouveau partenariat stratégique avec l’Afrique, en vue notamment de promouvoir des investissements plus responsables et à même de libérer tout le potentiel économique du continent africain, l’UE entend -plus que jamais- concilier transformation de son économie et promotion d’une activité économique durable et créatrice d’emplois. Cette intention, louable pour ralentir les effets du changement climatique, suppose toutefois une accélération de ses programmes d’énergies renouvelables qui nécessitent un engagement plein et entier de l’ensemble des acteurs de l’industrie pour faire évoluer leurs chaînes de production, leurs chaînes de valeur ainsi que leurs chaînes d’approvisionnement. Dans cette quête à la « révolution industrielle propre » qui passera par une utilisation massives des énergies renouvelables et décarbonées, l’Europe porte une attention toute particulière aux matières premières dites critiques pour lesquelles un risque pèse sur la chaîne d’approvisionnement, soit parce que celles-ci sont concentrées dans un très petit nombre de pays, soit parce que la stabilité politique des pays fournisseurs est discutable.

Parmi les matériaux stratégiques identifiés par l’UE figure, par exemple, le cobalt. Son utilisation est indispensable à de nombreux secteurs industriels moteurs de l’économie européenne tels que l’aéronautique, le nucléaire ou encore l’automobile. Dans ce dernier secteur, l’UE, premier producteur de véhicules thermiques au monde, souhaite s’imposer comme le futur leader mondial du marché des véhicules électriques. Or, l’essentiel de leur valeur ajoutée est généré ici par un élément fondamental : les batteries. Cœur des véhicules électriques aux côtés de leur système d’information, chaque bloc de batteries nécessite, en l’état des avancées technologiques, plusieurs kilogrammes de cobalt pour fonctionner. Face aux enjeux de la transition énergétique et le virage radical pris par les États pour convertir leurs parcs automobiles à l’électrique, cet élément déjà critique est donc appelé à le devenir encore davantage dans les années à venir. Ainsi, la Commission européenne estime que la demande des industriels européens pour le métal bleu devrait être multipliée par 5 d’ici 2030, et même par 15 à l’horizon 2050, tandis que leurs besoins en lithium seront quant à eux 60 fois plus élevés en 2050.

Cette nouvelle révolution industrielle fait donc peser une pression très forte sur les cours mondiaux du cobalt, lesquels ont dépassé la barre des 61 200 euros la tonne sur la bourse des métaux de Londres en 2021, soit un quasi-doublement de son prix en un an. Si les analystes financiers s’attendent à une diminution des tensions sur les approvisionnements du cobalt, avec un retour à une production excédentaire dès 2022, les perspectives de long terme restent globalement préoccupantes pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce qu’il existe une trop forte concentration (~66%) de la production et des réserves mondiales dans un unique pays, dont la fragilité est endémique : la République démocratique du Congo (RDC). Ensuite, au-delà de ces considérations de marché, l’autre facteur de risque est d’ordre éthique. Malgré les efforts réalisés par les autorités locales, les conditions d’extraction sont régulièrement décriées par les défenseurs de l’environnement et de la lutte contre la corruption, du fait du manque de transparence dans les transactions avec ce pays et des mauvaises conditions de travail dans les mines artisanales, où le recours au travail des enfants est malheureusement généralisé. Dans ce contexte, la RDC devient donc un enjeu stratégique pour les constructeurs de véhicules électriques européens et leurs principaux fournisseurs de batteries sud-coréens et chinois, qui ne manqueront pas de tenter de nouer des accords de fourniture préférentielle avec les autorités congolaises. Déjà, la Chine, dominant le marché des terres rares et des métaux stratégiques, est indispensable ou presque au bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement, notamment pour les panneaux solaires, les turbines d’éoliennes ainsi que les batteries de véhicules électriques. A l’avenir, Pékin compte faire de même dans l’hydrogène et les piles à combustibles ainsi que les réacteurs nucléaires de nouvelle génération pour s’imposer comme l’acteur clef des questions énergétiques et de la transition.  

Principaux pays producteurs de matériaux critiques (source: UE)

Souvent qualifiée de “scandale géologique”, la RDC n’est pas uniquement riche en cobalt. Elle l’est aussi pour un autre minerai stratégique, le coltan, dont plus de 60% des réserves mondiales s’y trouvent. Principalement extrait dans les régions hautement instables du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, à l’Est de la RDC, ce minerai est une combinaison de deux métaux, le tantale et le niobium. Si le tantale est un élément abondamment utilisé dans l’industrie des composants électroniques, où il entre dans la fabrication des condensateurs et des filtres à onde de surface pour les ordinateurs et la téléphonie mobile par exemple, ou encore dans la composition de superalliages destinés à l’industrie aéronautique, le niobium est quant à lui indispensable pour la production des alliages soumis à de fortes contraintes. Ces derniers sont utilisés dans l’industrie spatiale, médicale ou encore nucléaire. Comme le souligne le chercheur congolais Ben Katoka, la RDC est un exemple typique de la théorie de la “malédiction des ressources naturelles”, selon laquelle les nations à forte dotation en ressources naturelles, en particulier le pétrole, le gaz et les minéraux, affichent en moyenne des niveaux de développement socio-économique inférieur à ce que leur potentiel permettrait d’atteindre. Dans les faits, cette présence d’importantes ressources naturelles serait le moteur de lutte de pouvoir et de corruption handicapant dans son ensemble le développement du pays et de la région du Kivu. Cette malédiction a également un impact direct sur la stabilité de l’Est congolais, venant ainsi exacerber des tensions et des divisions historiques sur le plan ethnique mais aussi religieux et politique. Toujours non résolus à ce jour, ces problèmes structurels et les enjeux miniers locaux se matérialisent par la persistance de conflits armés dans les deux provinces qui ont entraîné la mort de près de 6 millions de civils et fait presque autant de déplacés depuis le milieu des années 1990. Après les diamants de sang du Libéria, on peut donc véritablement parler ici des minerais de sang pour la RDC.

Particulièrement propice au développement de pratiques minières illégales, ce climat d’instabilité contribue à affaiblir les institutions congolaises et à entretenir une économie informelle abandonnée à des groupes armés ou des franges de l’armée nationale, dont le contrôle du secteur minier est en parti le fruit d’un partenariat prédateur conclu avec des entreprises minières chinoises. Si d’un point de vue historique, ce sont les sociétés occidentales qui ont été les premières à exploiter ces ressources, la Chine, à partir des années 1990, a fait son apparition sur le marché africain des ressources. Armé d’un discours anticolonialiste hérité de la période maoïste, Pékin a fait une entrée remarquée sur le continent et sa présence s’est fortement accélérée dans les années 2000. Les entreprises occidentales se trouvaient ainsi en concurrence avec les sociétés chinoises, qui devaient exploiter les ressources africaines pour alimenter les usines de la future seconde puissance économique mondiale. Ces nouveaux entrants allaient-ils rompre avec les pratiques de groupes miniers occidentaux désormais soumis à des impératifs drastiques de traçabilité de leurs approvisionnements ?

La Chine en Afrique et en RDC, partenaire ou exploiteur dans le secteur minier ?

Malgré une légère contraction des échanges depuis la pandémie de Covid-19, la Chine est devenue en moins de 20 ans le premier partenaire commercial de l’Afrique et le principal investisseur sur le continent. D’après les données statistiques compilées par l’ONU, les échanges entre la Chine et l’Afrique se sont portés à 175,91 Mds$ en 2020 (vs 11,53 Mds$ en 2002), tandis que les flux d’investissements directs étrangers (IDE) chinois sur le continent ont atteint 4,2 Mds$ en 2020. Sur le temps long, entre 2003 et 2020, la Chine a cumulé 46 Mds$ de flux d’IDE en Afrique, alors que les prêts auprès des gouvernements et entreprises publiques du continent se sont élevés à 153 Mds$ pour la période 2000-2019. Pays important pour la Chine, la RDC a reçu 5% du total prêts chinois en Afrique (mais « seulement » 1,5% de leur valeur).

Cette hausse spectaculaire des investissements chinois en Afrique a concordé avec l’instauration du Forum pour la coopération entre la Chine et l’Afrique (FOCAC). Il a également coïncidé avec l’objectif affiché de Pékin d’aider l’Afrique à sortir du sous-développement par des pratiques différentes de celles des Occidentaux dont le soutien est de plus en plus conditionné à la mise en œuvre de réformes structurelles, en faveur d’une meilleure gouvernance et de plus de transparence démocratique. Néanmoins, la réalité des actions de la Chine diffère assez largement du récit qu’elle veut imposer de relations équilibrées et harmonieuses. En premier lieu, ses investissements sont avant tout orientés vers l’exploitation des ressources du continent (matières premières comme le bois, minerais, terres arables, etc.), sans que ses actions ne soient pour autant conditionnées à une amélioration systématique du cadre de vie des populations locales. Ainsi, les infrastructures construites et financées par les entreprises chinoises sont avant tout pensées pour assurer le flux logistiques des ressources entre les zones de production et les ports. Or, le plus souvent, la Chine profite de la faiblesse des règlementations nationales dans les pays concernés, notamment s’agissant des aspects sociaux et environnementaux, pour construire des infrastructures de qualité moyenne.      

Ce déséquilibre en faveur de la Chine n’est pas propre qu’aux investissements. En effet, au-delà de faibles, voire parfois l’absence totale d’engagement pour favoriser l’émergence des économies locales, de nombreux groupes chinois privilégient l’importation en Afrique d’une main d’œuvre chinoise. En dépit d’une contraction des flux de travailleurs chinois sur le continent en raison de la Covid-19, cette situation est particulièrement tangible dans le secteur du BTP et celui de la production. Ces expatriés chinois éprouvent souvent de grandes difficultés à s’intégrer et à se mêler aux populations locales, en partie pour des raisons linguistiques et culturelles, renforçant ainsi le sentiment d’une communauté évoluant en vase clos. Au-delà des incompréhensions interculturelles, les méthodes de management des entrepreneurs chinois ont pu parfois profondément heurter les travailleurs africains, surtout dans les pays miniers où il existe de fortes traditions syndicales, comme en Zambie. Dans ce pays, les manifestations anti-chinoises sont endémiques depuis 2010 et ont déjà provoqué la mort de plusieurs expatriés comme en 2012.

Ce tragique épisode apparaît ainsi révélateur des maux qui touchent de nombreux partenariats entre certains États africains et des grandes entreprises chinoises, pour lesquelles le respect des normes sociales et environnementales ne semble pas figurer au rang de priorité. Dans ces circonstances, il est possible de se demander ce que le continent africain peut espérer dans ces domaines de la part d’un pays qui, sur son propre territoire, n’a qu’une considération très mesurée des conditions d’exploitation des ressources, comme en témoignent les nombreux accidents dans les mines en Chine, les maladies endémiques des mineurs et la grave pollution du sol, des eaux et de l’air?

L’autre point sur lequel les entreprises chinoises sont de plus en plus critiquées porte sur leur capacité à favoriser l’adoption et la promotion de politiques de bonne gouvernance. Au sein de territoires confrontés à une corruption systémique, les opérateurs privés chinois œuvrant dans les domaines extractifs (pétrole et gaz, industrie du bois, secteurs minier et halieutique) sont régulièrement accusés par les médias locaux d’entretenir ces situations de faillite pour bénéficier, par exemple, des largesses de certains responsables chargés de l’octroi des droits d’exploitation minière. Alors que les autorités chinoises entendent pratiquer une politique anti-corruption proactive en Chine, sa déclinaison à l’internationale peine à se faire ressentir pleinement, notamment en Afrique. Cette absence d’engagement ferme de la Chine suscite dès lors une certaine défiance de la part des populations locales, tant à l’égard de leurs élites que des entrepreneurs chinois. Cette pression médiatique se double depuis quelques années d’une pression de la part des marchés financiers et des agences de lutte contre la corruption. En 2017, le cabinet de conseil en stratégie McKinsey indiquait, dans un rapport consacré aux relations de coopération entre la Chine et l’Afrique, que les sociétés chinoises sont tout à la fois plus enclines à mettre en œuvre des entreprises de corruption et à extorquer pour les responsables politiques africains. Au-delà de la perception, l’enquête diligentée a révélé qu’entre 60% à 87% des entreprises chinoises ont déclaré avoir payé un « pourboire » ou un pot-de-vin pour obtenir une licence dans le cadre de transactions commerciales en Afrique. Si les groupes chinois ne sont pas les seuls concernés par ces pratiques, force est de constater qu’une culture de la corruption s’est durablement installée au sein de ceux-ci en raison de l’absence de mesures anti-corruption de la part de Pékin.

Les exemples de pratiques chinoises douteuses dans le domaine minier sont nombreux et ont fait l’objet de multiples articles et reportages. Les faits exposés ci-dessous en RDC ne le sont qu’à titre illustratif. En 2015, Congo Dongfang International, filiale du groupe Zhejiang Huayou Cobalt, fabricant de matériaux pour batteries de smartphones, faisait l’acquisition de droits miniers à Kasulo, dans la province du Haut-Lomami. Selon Zhejiang Huayou Cobalt, cette acquisition allait lui permettre, à l’horizon 2017, de contrôler 21% du marché mondial du cobalt. Cet achat était en partie conditionné à la construction de 2 raffineries dans la région, en vue d’accroître la part de la valeur ajoutée de la production locale, en évitant d’exporter le seul minerai qui aurait été raffiné en Chine ensuite. Communiquant considérablement autour du projet, la société chinoise a présenté cet investissement comme étant responsable et visant à développer Kasulo, tout en éliminant progressivement toute infraction aux droits humains. Or, dès le début, l’implantation des sites de Congo Dongfang s’est traduite par l’expropriation de nombreux habitants des villages situés sur les concessions. De plus, les conditions de travail sont demeurées particulièrement difficiles et risquées, avec des mineurs n’ayant, par exemple, pas été équipés de protections élémentaires pour extraire et raffiner le minerai. En dehors de ces faits, plusieurs rapports ont directement mis en cause la société pour avoir fermé les yeux sur le travail des enfants au sein de mines artisanales auprès desquelles Congo Dongfang s’approvisionnent.

Comme évoqué précédemment, ces pratiques provoquent parfois des mouvements de mécontentement populaire. En 2021, des travaux conjoints de chercheurs internationaux ont déterminé que les projets miniers financés en Afrique par la Chine — par l’État chinois ou des fonds privés — étaient davantage susceptibles de faire l’objet de protestations de la part des populations locales. L’étude a ainsi répertorié plus de 125 000 manifestations anti-chinoises en Afrique entre 2000 et 2015.

Corrélation entre manifestations et projets financés par la Chine

Premier producteur mondial de batteries lithium-ion, la Chine fait donc ce qu’elle juge nécessaire pour sécuriser, par tous les moyens possibles, ses approvisionnements en cobalt. Malgré tout, il convient de nuancer ce constat négatif. Certaines infrastructures chinoises bénéficient à la population locale, comme des cliniques, même si cela demeure relativement marginal. De même, certains groupes miniers occidentaux, comme Glencore, ne sont pas exempts de critiques quant à leurs méthodes d’exploitation minière et les conditions de travail des mineurs. Toutefois, l’échelle à laquelle la Chine a lancé ses investissements dans ce secteur doit alerter les consommateurs des pays développés, et notamment les européens — les batteries utilisées dans les ordinateurs, les smartphones ou les véhicules électriques sont souvent construites avec des matériaux extraits dans des conditions extrêmement discutables et critiquables. L’activisme de certaines ONGs, les nouvelles attentes des citoyens et, plus largement, la prise de conscience des responsables politiques et économiques européens ont toutefois permis d’initier une autre manière d’aborder la question de l’exploitation minière en Afrique.

L’UE et les entreprises européennes, des acteurs engagés pour une exploitation plus responsable ?

Face aux critiques formulées par des sociétés civiles européennes de moins en moins disposées à accepter des pratiques non-éthiques, bafouant les conditions humaines, sanitaires et écologiques dans lesquelles s’effectue l’exploitation minière, des changements sont attendus. Pour répondre à ces défis, l’Union européenne, et de plus en plus souvent les grands groupes industriels du continent, s’intéressent à la question de la moralité et de la traçabilité des filières d’approvisionnement. Cette prise de conscience, appuyée par des dispositifs législatifs, démontre bien que des pratiques responsables semblent parfaitement possibles et compatibles entre développement économique et exploitation durable et déontologique des matières premières dans les pays pauvres.

Si l’Union européenne tient à jour une liste des matériaux et métaux considérés comme critiques en vue d’éviter de se trouver en situation de dépendance vis-à-vis d’un partenaire — l’actualité tragique en Ukraine a en ce sens agi comme un électrochoc sur la dépendance et la vulnérabilité de l’Europe à l’égard des ressources russes —, ce répertoire, qui recense notamment le tantale et le cobalt, permet aussi de porter une attention particulière sur les filières d’approvisionnement. Sans pour autant être contraignant, cet outil incite donc les entreprises du secteur à établir une cartographie précise de l’origine de leurs importations. Louable, cet effort de clarification doit cependant être accentué, car, à l’image des paradis fiscaux, l’existence de zones grises persiste, essentiellement en raison du rôle opaque que peuvent jouer certains intermédiaires et négociants peu scrupuleux.

Bien entendu, il ne suffit pas d’avoir une vision plus précise des approvisionnements, qui ne reste finalement qu’un constat, pour améliorer durablement cette situation. En complément de sa liste des matériaux critiques, l’UE a franchi un pas majeur dès 2017 avec l’instauration d’un règlement fixant des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement des métaux et matériaux issus de zones de conflit ou à haut risque. Entré en application au 1er janvier 2021, cette législation se veut plus astreignante et vise à atteindre les objectifs que s’est fixée l’UE pour mettre fin à:

  • L’exportation vers l’UE de minerais et de métaux provenant de zones de conflit;
  • L’utilisation de minerais de conflit par les fonderies et les affineries de l’UE et du monde entier;
  • L’exploitation abusive des mineurs.

Si à ce jour seuls 4 métaux sont désignés — l’étain, le tantale, le tungstène et l’or —, d’autres, comme le cobalt, pourraient rejoindre cette liste. Comme nous l’avons évoqué, sa présence y serait totalement justifiée en raison de l’instabilité qu’il provoque en RDC.

Grâce à la puissance du levier normatif, l’UE souhaite donc responsabiliser les entreprises européennes et mondiales non seulement sur leurs filières d’approvisionnement, mais plus globalement sur le caractère économique et social de leurs actions auprès des communautés locales. Pilier intégrant de sa nouvelle politique de partenariat avec l’Afrique, cet aspect constitue évidemment une avancée positive. Toutefois, pour les entreprises, il reste très complexe à mettre en application, à la fois pour qu’elles identifient parfaitement leurs chaînes d’approvisionnement jusqu’à la mine, mais aussi pour, le cas échéant, définir des ressources de substitution. De plus, comment ne pas engendrer d’externalités encore plus ravageuses en cas d’arrêt des approvisionnements en matières premières issues de ces régions ? En effet, si des contraintes trop fortes viennent à être établies, comment imaginer que l’impact économique local ne soit pas négatif pour un secteur minier artisanal congolais qui représente un volume d’au moins 2 millions de travailleurs directs et indirects ? Enfin, si les entreprises européennes se voient obligées de se détourner de ces fournisseurs, comment imaginer que des acteurs moins consciencieux se détournent également d’eux ?

Pour répondre à cette problématique, l’UE a donc mis en place certaines initiatives, tel que le soutien du secteur minier pour renforcer la réglementation sur l’environnement, la santé, la sécurité, le droit du travail et la lutte contre le travail infantile. À ce titre, une enveloppe de 22M€ a été allouée pour la période 2018-2020 dans le cadre du programme European Instrument for Democracy and Human Rights (EIDHR) pour la protection des droits de l’enfant. En RDC, cette démarche européenne s’est traduite par la rescolarisation de 2 700 enfants qui travaillaient dans le secteur minier ou encore la fourniture d’un appui à la refonte du code minier.

De leur côté, les entreprises européennes ne sont pas non plus inactives. Pour la filière du cobalt, les principaux acteurs actifs sont ceux de la filière automobile, et singulièrement les entreprises allemandes. L’Allemagne est en effet devenue en 2021 le premier producteur européen de véhicules électriques, d’où la nécessité pour ses industriels de sécuriser leurs approvisionnements en cobalt. Face à la complexité de la situation géopolitique, économique et humaine en RDC, plusieurs entreprises allemandes (mais pas seulement) ont lancé en janvier 2019 le projet Cobalt for Development. Il est financé intégralement par BMW, BASF, Volkswagen et Samsung. En coopération avec le service congolais d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle, l’initiative s’engage à prodiguer des formations au profit de mineurs de la province de Lualaba en vue de les aider à adopter de meilleures pratiques d’extraction et de meilleures conditions de travail.

Institutions et entreprises européennes semblent donc pleinement impliquées dans une amélioration véritable des pratiques du secteur minier congolais, même si ces efforts n’en sont encore qu’à leurs débuts et exigent un renforcement. Dans cette perspective, le rôle et l’action de l’UE peuvent participer à l’accélération de l’assainissement des filières d’approvisionnement, tout en œuvrant à un développement plus juste et éthique grâce à des programmes locaux qui favoriseraient la mise en place de cadres au bénéfice des normes en matière de droit du travail, de sécurité, de santé et d’environnement. La sensibilisation des entreprises, mais aussi des consommateurs, devra être poursuivie, et les institutions européennes ont un véritable rôle à jouer en la matière. Il s’agirait donc de rompre avec des pratiques anciennes, qui sont encore mises en œuvre par des acteurs extra-européens, et de mettre un terme à la « malédiction des ressources naturelles ».

Mohamed Lamine SIDIBE est spécialiste des questions stratégiques et géopolitiques des matériaux critiques de la transition énergétique en Afrique et consultant en gouvernance minière.

Matthieu ANQUEZ, ARES Stratégie, expert en géopolitique et matériaux stratégiques.