Sommet UE-UA : principaux points à retenir

Théo Locherer met sa double compétence en sécurité internationale et en affaires publiques au profit de l’IGPSA. Il apportera notamment des éclairages sur les grands enjeux ayant traits à la relation entre l’Union européenne et le continent africain.
Reportée plusieurs fois, notamment en raison de la pandémie de Covid-19, la grande rencontre entre les dirigeants africains et européens s’est finalement tenue à Bruxelles du 17 au 18 février dernier. Le dernier Sommet Union africaine – Union européenne s’était tenu à Abidjan en 2017. Devant être le point de départ d’un nouvel élan des relations entre l’Afrique et l’Europe, la séquence a été marquée par des échanges francs de part et d’autre dans une volonté partagée d’aller de l’avant.
En amont de ce 6ème Sommet, le président du Conseil européen, Charles Michel et la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, avaient tenu à souligner l’importance singulière de cette séquence à l’occasion de prises de parole et de déplacements nombreux. Les deux responsables ont répété à plusieurs reprises que la rencontre devait permettre de poser la première pierre d’une relation renouvelée entre les deux continents.

Dans les faits, cette volonté européenne va se traduire par le déploiement d’une stratégie globale d’investissements dont l’ébauche a été présentée le 10 février dernier lors de la visite de la présidente de la Commission à Dakar. Bâtie autour du programme « Global Gateway » , elle consacre 50% du budget du programme – soit 150 Mrds d’euros – à l’Afrique sur sept ans (voir pages suivantes). Cette stratégie volontariste a pu susciter quelques inquiétudes tant au sein de l’UE que de l’UA. Des observateurs européens se sont ainsi interrogés quant à la maturité suffisante de certains projets africains pouvant être concernés par un soutien financier. Dans le même temps, les exigences de démocratie et de développement durable conditionnant l’aide économique de l’UE ont provoqué quelques réactions au sein de l’UA. Son président en exercice, Macky Sall, avait donné le ton le 5 février dernier à Addis-Abeba déclarant que « l’Afrique est plus que jamais décidée à prendre son destin en main. Notre continent ne saurait être la chasse gardée des uns contre les autres. Nous sommes ouverts à tous les partenariats, sans exclusion, ni exclusivité, pourvu qu’ils soient mutuellement bénéfiques et respectueux de nos priorités de développement et de nos choix de société ».
Lors du Sommet, s’agissant de la stratégie globale, le président du Conseil européen a insisté sur la mise en place, aux cotés des banques de développement, de mécanismes innovants de financement et de couverture des risques, avec pour objectif principal de canaliser plus efficacement l’argent privé vers les projets d’investissement. Cet objectif s’inscrit également dans le tournant stratégique de Global Gateway, témoignage de la volonté européenne de se maintenir au premier rang des partenaires économiques de l’Afrique, alors que plusieurs nouveaux acteurs y ont pris des positions ces dernières années. Si la Chine demeure le principal concurrent perçu par l’UE (malgré la baisse considérable de ses investissements africains depuis 2018), la présence renforcée de la Turquie et de l’Inde dans les partenariats stratégiques de plusieurs pays africains l’a poussé a renforcé sa présence au sud de la Méditerranée.
Pour sa part, le président en exercice de l’Union africaine et président du Sénégal, Macky Sall, a appelé au développement d’un partenariat repensé et rénové entre les deux grandes organisations afin d’intégrer au mieux les nouvelles générations dans les représentations économiques et politiques des deux unions. Pour le dirigeant sénégalais, l’objectif est de favoriser l’installation d’un nouveau logiciel politique, adapté aux mutations en cours et apte à soutenir la dynamique novatrice du continent africain.
Enfin, le président en exercice du Conseil de l’Union européenne et président français, Emmanuel Macron, a mis en avant le programme « Constellation européenne », représentant un investissement de plus de 6 milliards d’euros pour l’UE. A terme, il doit être en capacité de proposer une couverture internet très haut débit à l’ensemble du territoire des deux continents afin de fournir une alternative aux solutions américaine StarLink et anglo-indienne OneWeb, ainsi qu’aux infrastructures chinoises en Afrique. Il s’agit ici de garantir une égalité de la connectivité sur l’ensemble des zones concernées ainsi qu’une sécurité des communications grâce à un cryptage quantique. Ce projet, défendu par le Commissaire européen de la politique industrielle et du numérique, Thierry Breton, a été approuvé mi-février 2022 par la Commission européenne.
Le programme Global Gateway, un nouveau départ pour les deux Unions ?
La Présidente Von der Leyen a annoncé ce qui devra être le pivot de la nouvelle relation entre les deux continents : le programme « Global Gateway ». Ce paquet d’investissements Afrique -Europe d’au moins 150 milliards d’euros au service de l’agenda 2063 de l’UA est composé de trois volets portant sur les investissements, la santé et l’éducation. Plus concrètement, ces investissements devront poursuivre les orientations suivantes :
• Investissements durables à grande échelle, dans l’énergie, les transports et les infrastructures numériques alignés sur le deuxième plan d’action prioritaire du programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA-PAP II) ;
• Une transition énergétique tenant compte des orientations spécifiques et diverses des pays africains en ce qui concerne l’accès à l’électricité ;
• Développement de la transition écologique, y compris le soutien à la mise en œuvre des contributions déterminées au niveau national (CDN) et des plans nationaux d’adaptation (PAN) des pays africains au titre de l’accord de Paris ;
• La transformation numérique par des investissements dans les infrastructures favorisant un accès abordable et amélioré à l’économie numérique et à l’économie des données ;
• La croissance durable et la création d’emplois décents, en investissant dans la création d’entreprises appartenant à des jeunes en Afrique ;
• La facilitation des transports et l’efficacité de réseaux de transport connectés ;
• Le développement humain en renforçant la mobilité et l’employabilité des étudiants, des jeunes diplômés et des travailleurs qualifiés.
La Pomme de Discorde des vaccins
Lors du Sommet, dont l’ambiance a été largement dominée par une grande concorde et le plaisir de se retrouver de visu, la question de la levée des brevets sur les vaccins anti-Covid a constitué un point de frictions. Alors que les États africains soutiennent une levée des brevets, les Vingt-Sept continuent de s’opposer à cette requête.
A l’issue du Sommet, plusieurs annonces ont été faites, poursuivant et renforçant la stratégie de soutien de l’Union européenne envers son homologue africaine :
- Fourniture par l’UE à l’Afrique d’au moins 450 millions de doses de vaccin, en coordination avec la plateforme de l’équipe spéciale pour l’acquisition de vaccins en Afrique (AVATT), d’ici mi-2022.
- Mise à disposition de plus de 3 milliards de dollars (soit l’équivalent de 400 millions de doses de vaccin) à la disposition du mécanisme COVAX et des efforts de vaccination sur le continent africain.
- Mobilisation de 425 millions d’euros pour accélérer le rythme de la vaccination et, en coordination avec le CDC Afrique, pour soutenir la distribution efficace de doses et la formation des équipes médicales, ainsi que pour renforcer les capacités d’analyse et de séquençage.
- Développement d’un programme commun de fabrication de vaccins, de médicaments, de dispositifs de diagnostic, de traitements et de produits de santé en Afrique, y compris des investissements dans les capacités de production, des transferts volontaires de technologies ainsi qu’un renforcement du cadre réglementaire pour permettre un accès équitable aux vaccins, aux diagnostics et aux traitements.
Toujours sur ce même sujet sanitaire, le Président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, a appelé à un meilleur accès aux vaccins contre le Covid-19 et à la réallocation à l’Afrique de 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. Décrivant la santé comme une question de sécurité nationale, le responsable a appelé à la mise en œuvre d’un système de protection sanitaire transcontinental fondé sur de solides infrastructures, des industries pharmaceutiques locales, ainsi que sur un transfert de savoir-faire et le développement de capacités de production de vaccins en Afrique. Il a aussi plaidé en faveur de la mise en place d’un mécanisme africain de stabilité financière, sur le modèle de l’actuel mécanisme européen.
Enfin, la Banque européenne d’investissement a annoncé jeudi 17 février qu’elle mettrait à disposition 500 millions d’euros de prêts accessibles aux pays africains pour renforcer les systèmes de santé. Cette ligne de crédit devrait mobiliser un total de 1 milliard d’euros d’investissements privés et publics.
Paix et Sécurité
Le volet paix et sécurité du Sommet a également fait l’objet d’annonces et de nouveaux projets. Les parties prenantes ont ainsi annoncé un renforcement des moyens alloués à la lutte contre les différents types de Flux Financiers Illicites (FFI) et plus particulièrement le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Une attention particulière a été donnée aux systèmes de gouvernance fiscale qui doivent bénéficier dans ce cadre d’un champ de coopération plus étendu concernant le retour de fonds et de biens volés depuis les pays d’origine.
Concernant les mobilités légales et illégales, les deux Unions ont annoncé un renforcement – dont les détails n’ont pas encore été communiqués – de la gestion et de la surveillance des frontières. Cette consolidation passera notamment par un soutien économique aux programmes économiques de prévention de l’immigration illégale ainsi qu’une intensification des mesures de mobilité légale afin de répondre aux besoins grandissants des populations des deux continents, notamment par l’intermédiaire d’institutions africaines spécialisées en matière de migration. Les dirigeants de l’UE et de l’UA ont également convenu de relancer les travaux de la Task Force tripartite UA-UE-ONU afin notamment d’aborder l’enjeu de la fuite des cerveaux.
La situation sécuritaire malienne, invitée imprévue du Sommet

Peu avant le début du Sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, le président Emmanuel Macron a annoncé la fin de neuf ans d’opérations militaires françaises au Mali. Plus concrètement, les modalités de la fin de l’opération Barkhane, ainsi que de la Task Force Takuba, impliquent une réorganisation du dispositif militaires français, avec le redéploiement de 2 400 militaires vers le Niger, la fermeture des trois bases avancées (Gao, Gossi et Menaka), la mise en place de programmes civils et sociaux à destination des populations, et un réengagement dans la lutte contre le terrorisme au profit des pays sahélien et élargi aux pays du golfe de Guinée.
Le Président Emmanuel Macron a insisté sur le fait que les programmes d’aides ne devront pas financer des entreprises de mercenariat, allusion au groupe russe Wagner dont la présence sur le sol malien a été confirmée par l’Africom (les autorités maliennes n’évoquent que des « formateurs »), tout en considérant que cette décision ne doit pas être vu comme un échec sur la stratégie au Sahel. L’influence grandissante dans plusieurs pays africains du groupe Wagner, dirigé par des proches du pouvoir russe (bien que Moscou démente toute ingérence), sont perçues au sein de l’UE comme un « exemple des efforts de déstabilisation de la Russie dans des régions qui sont importantes pour l’UE », souligne ainsi un responsable européen .
En parallèle, l’UE a également déclenché une procédure de vérification des conditions et des garanties pour évaluer les perspectives de maintien au Mali de ses deux missions de formation militaire (EUTM) et policière (EUCAP). L’annonce en a été faite par le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, lequel a souligné l’alimentation de l’instabilité du continent africain par « les nouveaux acteurs » chinois et russes « dont les méthodes et les agendas sont très différents des nôtres » .
Si ses engagements témoignent d’une forte volonté de l’Union européenne de demeurer « le partenaire de confiance principal de l’Union Africaine », celle-ci doit désormais faire face à des concurrents nombreux, qu’ils soient turcs, russes ou encore chinois. Dans ce contexte, s’inscrivant dans une dynamique plus large d’évolution des rapports de force entre les grandes puissances, l’Union Africaine semble se trouver en situation de négociation avantageuse. Il lui reste toutefois à savoir capitaliser sur les propositions offertes par les différentes parties prenantes, tout en réussissant à consolider son propre poids politiques sur le continent. Les multiples coups d’états qui ont pris place ces derniers mois sont en effet un défis pour l’Union qui peine à y répondre rapidement et efficacement. Pour ce faire, le développement d’un accord économique, politique et sécuritaire d’ampleur avec l’UE peut constituer un élément de réponse. En effet, pour sa sécurité, l’UE a besoin d’une Afrique stable alors que pour son développement, le continent africain a besoin des investissements européens. Cette interdépendance de destin commun n’a pas son égal avec d’autres acteurs, tant pour l’Europe que pour l’Afrique.