Focus sur les nouveaux modes de financements de l’UE au profit des opérations militaires africaines
Depuis plusieurs années maintenant, des responsables politiques et chercheurs travaillant sur les défis sécuritaires et les enjeux de développement en Afrique appellent les grands bailleurs internationaux à opter pour une évolution du cadre du financement des missions de paix et de sécurité sur le continent. Ils militent également en faveur d’une plus grande implication des forces armées africaines dans le règlement des crises locales.
Ces appels répétés ont pu être entendus lors des éditions du Forum de Dakar pour la Paix et la Sécurité en Afrique (FDD). Depuis 2014, ce rendez-vous annuel dédié à la sécurité et aux questions de développement sur le continent a permis d’aborder sans tabou la question de l’efficacité des opérations de maintien de la paix ainsi que celle du besoin de fournir des équipements aux forces armées locales pour accroitre leur efficacité.
Pour ne citer que cet exemple, lors de l’édition 2018 du FDD, s’appuyant sur le cas tragique des violences persistantes depuis plus de 60 ans en République démocratique du Congo (RDC), le Président sénégalais Macky Sall avait proposé de revoir la philosophie même du maintien de la paix et de franchir un cap pour véritablement « prendre en charge l’imposition de la paix ».
En cela, le dirigeant s’inscrivait dans les pas de l’Union Africaine (UA) souhaitant une montée en puissance des opérations africaines et sollicitant un appui financier de l’ONU (Organisation des Nations Unies) pour ce faire. Les partisans en faveur d’un tel changement de paradigme citait le succès encourageant de l’Amison (African Union Mission to Somalia), déployée en Somalie par l’UA pour s’opposer au groupe terroriste Al-Shabab.
Plus récemment, en amont du 6ème Sommet UE-UA qui s’est tenu à Bruxelles en février 2022, visant à « jeter les bases d’un partenariat renouvelé et approfondi », cette nécessité de lancer une réforme du financement et du maintien de la paix en tant que telle a été rappelé par le commissaire de l’UA à la paix et à la sécurité, Bankole Adeoye.
Le responsable nigérian a ainsi déclaré « Nous n’avons pas besoin de missions de maintien de la paix, mais d’imposition de la paix ». Il a ajouté que sans un changement dans ces opérations de sécurité, le monde acceptait « à perpétuité de simplement protéger les civils plutôt que d’affronter et de trouver une solution ».
Ses paroles ont trouvé d’autant plus d’écho auprès des dirigeants réunis à Bruxelles que le continent a vu se développer le terrorisme et l’extrémisme – du Sahel jusqu’au golfe de Guinée en passant par la Corne de l’Afrique et le Mozambique – et qu’il vient de connaître 5 coups d’État réussis rien qu’au cours de ces 18 derniers mois.
Il faut ajouter que côté européen, les propos de Bankole Adeoye s’inscrivent dans un contexte singulier au regard des travaux menés par l’UE dans le cadre de la Boussole Stratégique. Ces derniers ont conduit le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, à déclarer « Notre analyse des menaces globales montre clairement que l’Europe est en danger ».
Du reste, s’agissant de l’Afrique et de l’évolution du contexte sécuritaire globale, il faut observer un phénomène assez récent en Europe, avec une prise de conscience par la plupart des dirigeants de l’Union européenne de l’interdépendance entre sa stabilité et celle du continent africain.
Ce contexte favorable – dont a résulté la mise sur pied de la Task Force Takuba – permet d’envisager aujourd’hui des réformes profondes au profit de la paix et de la sécurité en Afrique à l’échelle de l’UE, en étroite coopération avec l’UA, en attendant d’éventuelles évolutions du cadre proposé par l’ONU.
Lors de son discours tenu à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du Sommet UE-UA, le président du Conseil, Charles Michel, a d’ailleurs déclaré : « Les problèmes africains requièrent des solutions africaines, conçues par les Africains. L’Union africaine et les organisations régionales jouent un rôle primordial pour mettre en œuvre les solutions aux conflits. Nous, Européens, sommes prêts, déterminés à travailler avec vous en vue d’une architecture de sécurité plus résiliente ».
Pour soutenir cette vision, l’UE dispose dorénavant d’un nouvel instrument : la Facilité européenne pour la paix (FEP). Adopté en 2021, cet outil de la PESC, directement pilotée par le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE), dirigée par Josep Borrell, est dotée d’un fonds de 5,7 milliards d’euros pour la période budgétaire 2021-2027. La FEP a pour objectifs d’améliorer la capacité de l’UE à prévenir les conflits, à consolider la paix et à renforcer la sécurité internationale, en permettant le financement d’actions opérationnelles relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.
La FEP
Complétant et remplaçant des instruments existants tels que Athena et la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique, la FEP permet de déployer des opérations militaires dans des États tiers (Pilier Opérations) ou encore de leur apporter une aide (Pilier Mesures d’assistance). Celle-ci peut porter sur la fourniture d’équipements militaires et de défense, des infrastructures ou encore de l’assistance technique.
Avec la FEP, l’UE peut donc participer au financement d’interventions conduites par ses partenaires dans le monde entier, et plus seulement en Afrique. Les Européens ont aussi l’opportunité de fournir des équipements militaires à leurs partenaires pour soutenir leurs capacités de défense, sous réserve de garanties et de mécanismes de contrôle stricts et dans le plein respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
S’agissant de l’Afrique en particulier, les nouveaux outils financiers offriront la possibilité à l’UE de contribuer directement à des initiatives militaires nationales et sous-régionales, sans passer par l’UA de manière systématique. Elle pourra également apporter un soutien financier bilatéral pour former et équiper des armées africaines, ce qui n’était pas possible avec les modalités de financement précédentes.
Déjà évoqué, l’exemple de la Somalie peut illustrer l’intérêt pour Bruxelles de faire évoluer ses instruments. En plus de financer l’Amisom et la mission de formation militaire EUTM Somalia, la FEP lui permettra de financer une partie du matériel militaire, de la formation et des infrastructures de l’armée nationale somalienne. Ceci devrait aider non seulement les autorités nationales à reprendre en main certaines opérations de l’Amisom mais aussi faciliter le retrait, à terme, de la mission, avec l’impact financier induit pour l’UE.
La région du Sahel peut compléter cette illustration. Les financements de la FEP, utilisés pour mieux former et équiper les forces maliennes, burkinabè et nigériennes, permettront in fine aux troupes européennes de réduire leur engagement au profit des acteurs locaux et de réaffecter une partie de leurs moyens dans des missions de soutien à forte valeur ajoutée telle que la fourniture d’un appui ISR indispensable dans la traque des groupuscules terroristes.
Toutefois, si l’UE fait évoluer ses mécanismes de financement des opérations militaires africaines pour mieux répondre aux nouveaux enjeux sécuritaires, ce levier seul ne pourra suffire à régler toutes les menaces qui pèsent sur la stabilité du continent africain.
Comme l’a rappelé Crisis Group dans de nombreuses publications « […] les bailleurs internationaux et les gouvernements africains ont souvent considéré trop vite que les mesures sécuritaires pouvaient suffire à lutter contre l’instabilité en Afrique, en particulier dans les régions confrontées à des insurrections jihadistes. Cette tendance les a poussés à mettre sur pied des missions ad hoc et à négliger les stratégies politiques plus globales visant à réformer la gouvernance locale, à généraliser l’accès aux services de base dans les régions isolées et rurales, à apaiser les conflits locaux, à promouvoir des mécanismes de réconciliation partant des communautés grâce à des processus de dialogue à l’échelle locale, à consulter les communautés et à ouvrir des canaux de communication ou à utiliser les canaux existants avec les responsables de ces insurrections ».
In fine, il parait effectivement nécessaire de travailler à mieux accompagner les opérations militaires en Afrique d’actions complémentaires puissantes telle que préconisé dans la stratégie de l’UE Global Gateway. En effet, privilégiant désormais une approche plus intégrée autour du concept d’«Équipe Europe», rassemblant l’Union européenne, ses États membres et leurs institutions financières et de développement, dont la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la stratégie Global Gateway entend désormais traiter les problématiques de paix et de sécurité à travers la poursuite d’un continuum sécurité, développement et gouvernance.
Véritable démarche de « capacity building », ces actions doivent ainsi apporter une amélioration notable des conditions de vie des populations locales et soutenir plus largement le développement des pays concernés, tout en favorisant leur autonomisation. Faisant partie d’une stratégie globale, ces actions doivent être conçues avec et portées par les autorités locales sous peine d’être mal comprises par les populations et mal adaptées aux réalités du terrain. Elles demandent également à faire l’objet d’une communication active pour faire davantage connaitre la contribution de l’UE à la paix et au développement en Afrique. Une contribution qui s’inscrit dans le temps long, une relation partenariale et le partage de valeurs fondamentales communes.
LES MISSIONS MILITAIRES EUROPÉENNES
Sept missions militaires européennes sont en cours dont six en Afrique . Quatre concernent un accompagnement à la formation des armées locales en Somalie (EUTM Somalia, depuis 2010), au Mali (EUTM Mali, depuis 2013), en République centrafricaine (EUTM RCA, depuis 2016) et au Mozambique (EUTM Mozambique, depuis novembre 2021). Les deux dernières concernent la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes (EUNAVFOR Atalanta, depuis 2008) et le respect de l’embargo sur les armes imposé à la Libye par les Nations unies (EUNAVFOR Irini, depuis mars 2020) .
Par ailleurs, l’UE déploie quatre missions civiles sur le continent africain. Depuis 2013, EUBAM Libya fournit du conseil aux autorités libyennes dans le contrôle des frontières. Lancée en 2016, la mission EUCAP Somalia vise à développer les capacités maritimes du pays, particulièrement pour soutenir EUNAVFOR Atalanta. Enfin, deux missions civiles sont engagées dans la région du Sahel afin de renforcer les capacités des forces de défense et de sécurité intérieure du Niger (EUCAP Sahel Niger, depuis 2012) et celles des forces de l’ordre au Mali (EUCAP Sahel Mali, depuis 2014).

Équipe de rédaction IGPSA