3 questions à Patrick Ferras

Patrick Ferras est docteur en géopolitique et président de l’association « Stratégies Africaines ». Chercheur de terrain, il enseigne à IRIS SUP’ et à Sciences Po Bordeaux. Parcourant le continent africain depuis une trentaine d’années, sa connaissance de la Corne de l’Afrique et des mécanismes de l’Union africaine est régulièrement sollicitée, tant par le monde de la recherche et les institutions internationales que par les médias. Il est l’auteur de nombreux articles ainsi que de l’ouvrage « Apprendre à comprendre l’Afrique actuelle ».

– Qu’est-ce que l’Union africaine (UA) ? A quoi sert-elle ? Quel bilan peut-on tirer de son action depuis sa création ?

L’Union africaine (UA) a succédé en 2002 à l’Organisation de l’Unité africaine (OUA – créée en 1963). Cette dernière fut la première incarnation politique à l’échelle du continent et nécessitait d’être adaptée. L’UA s’est dotée d’un cadre stratégique, l’Agenda 2063, dont la date correspond au centenaire de la première notion d’intégration et d’unité de l’Afrique. Il vise à bâtir une Afrique intégrée, prospère et en paix, dirigée par ses citoyens et constituant une force dynamique sur la scène mondiale. La montée en puissance de l’Afrique sur les plans politique, économique et sécuritaire s’articule autour de trois organismes principaux. Il s’agit tout d’abord de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement qui détient le pouvoir exécutif. Puis, il faut citer la Commission de l’Union africaine qui représente l’UA et défend ses intérêts. Ce rouage essentiel permet aussi d’assurer les activités quotidiennes de l’Union. Enfin, le Conseil de Paix et de sécurité (CPS) peut autoriser des missions de maintien de la paix et imposer des sanctions. Il est l’organe décisionnel permanent de l’Union pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Le niveau continental s’est imposé dans les relations internationales, au détriment des Communautés économiques régionales. Il reste néanmoins difficile de coordonner les avancées de 55 Etats qui n’ont pas tous le même niveau de développement et de richesse. La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) a été lancée en 2019 et est opérationnelle depuis janvier 2021. En théorie, son potentiel est immense, les échanges entre pays africains étant à des niveaux très faibles aujourd’hui. Reste à achever les négociations sur les questions techniques incluant les règles d’origine et la catégorie des produits sensibles.    

– L’Union africaine a-t-elle les moyens de monter en puissance ?

Pour améliorer cette organisation, la Réforme Kagame (Président du Rwanda) a proposé plusieurs directions depuis 2017. L’UA souffre d’une incapacité actuelle à se financer à 100% par ses États membres. Pour constituer son budget, du reste relativement modeste (autour de 650 millions de dollars), elle en appelle aux partenaires extérieurs dont principalement l’Union européenne. La Chine y contribue également. Les États africains financent 35% du budget 2022 de l’UA. L’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Égypte, le Nigeria et le Maroc sont les principaux contributeurs à ce budget. Pour gagner en autonomie financière, Paul Kagame a poussé l’organisation à se reformer pour diminuer ses coûts de fonctionnement et a proposé des taxes sur certains produits d’importation qui se mettent en place petit à petit. Mais, le principal point d’amélioration du fonctionnement de l’UA porte certainement sur la nécessaire clarification à faire entre le rôle des Communautés économiques régionales et l’UA. C’est-à-dire qu’il faut préciser le principe de subsidiarité entre le niveau continental et régional afin de recentrer l’UA sur les tâches prioritaires comme la paix et la sécurité sur le continent.

– Dans ce contexte, quel rôle peut-on imaginer en particulier pour l’Union européenne (UE) ? Quelles actions peut-elle mener pour soutenir le développement de l’UA ?

Le rôle de l’Union européenne est majeur car elle finance une partie importante du budget de l’UA mais aussi un grand nombre de programmes de développement au niveau continental comme régional. Par exemple, « Global Gateway » envisage un paquet d’investissement de 150 milliards d’euros entre 2021 et 2027 au profit du continent africain. La force de l’UE est qu’elle représente la politique de 27 États et donc ne peut être accusée d’ingérence dans le fonctionnement de l’UA comme on le reproche souvent dans les relations bilatérales. Malgré le sommet UE-UA de février 2022 et de bonnes intentions de part et d’autre, l’UE doit s’imposer de demander des résultats aux actions qu’elle appuie et finance. L’exemple du financement de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS), créée en 2002, est révélateur d’un investissement qui dure sans résultat tangible. La situation avait même amené la Cour des comptes européennes (CEE)  à conclure de manière diplomatique que l’aide de l’UE « n’avait guère eu d’effet et qu’un recentrage s’imposait ». Les feuilles de route en matière de paix et de sécurité doivent être plus claires et surtout vérifiables. La coordination des programmes au niveau des Etats, des régions et du continent permettrait aussi des économies d’envergure et une meilleure efficacité.