3 questions à Oswald Padonou

Le Docteur Oswald Padonou (@OswaldPadonou) est Directeur de Programme à l’École Nationale Supérieure des Armées (ENSA) au Bénin et président de l’Association béninoise d’études stratégiques et de sécurité (ABESS). Il est membre de comités scientifiques de plusieurs think tanks intervenant en Afrique et en Europe dans les domaines de la gouvernance politique et sécuritaire et est l’auteur de plusieurs publications.


Question 1 

Assiste-t-on véritablement à un renouveau dans les alliances et partenariats des Etats du Sahel ? 

Bien sûr ! Sur tous les plans. Nous sommes dans un moment de transition et de renouvellement. Les offres d’alliances et de partenariats sont plus nombreuses et diversifiées mais pas nécessairement plus densifiées. Aux plans économique et militaire par exemple, la Chine, la Russie et la Turquie sont aujourd’hui des partenaires majeurs dans la région, au même titre que les Etats-Unis et l’Europe mais leurs contributions ne viennent que compenser le recul proportionnel et relatif des partenaires occidentaux.

Mais au-delà de cette logique quantitative, il y a aujourd’hui une dynamique imposée par les sociétés civiles et les opinions publiques qui exigent un changement de paradigme. Le registre de l’assistance qui représente une sorte de perpétuation de liens post-coloniaux de domination est entièrement rejeté par une frange importante de la population : les jeunes. Ils attendent des relations plus équilibrées, des partenariats plus productifs et des alliances plus constantes. Avec des investissements plus importants dans l’industrie pour aider à transformer les matières premières et créer des emplois ainsi que la maîtrise de l’évasion fiscale, les partenariats extra-africains peuvent contribuer à créer davantage de richesse sur le continent et réduire la vulnérabilité et l’exposition des jeunes à la violence.

Question 2

Les liens des partenaires traditionnels sont ils suffisamment solides pour résister à cette nouvelle pression dans la durée ? 

Je ne suis pas sûr que leur solidité même la plus aboutie puisse constituer un rempart contre la dynamique en cours. C’est dans la capacité à réinventer leur relation à l’Afrique que les partenaires occidentaux peuvent continuer à peser dans la région et à définir ensemble avec les États concernés, un avenir commun. Il n’est pas dans leur intérêt de chercher à contenir une quelconque pression. Chaque partenaire a un rôle à jouer dans un esprit de subsidiarité. D’ailleurs, le dernier sommet UA-UE avec l’initiative « Global Gateway » donne le ton de ce partenariat renouvelé et prometteur.

Plus récemment et a contrario, l’adoption d’une loi américaine contre les « activités malveillantes de la Russie en Afrique » peut être interprétée comme un signe de fébrilité si des actions concrètes de rapprochement ne sont pas menées. Au dernier sommet du G7 à Carbis Bay au Royaume-Uni, en juin 2021, les Etats-Unis ont annoncé un plan d’investissement de 600 milliards de dollars dans les infrastructures des pays en développement, principalement en Afrique, dans le cadre de l’initiative Build Back Better World. Si cette fois, l’initiative est effectivement mise en œuvre, cela peut contribuer à consolider l’influence des partenaires « traditionnels ». Ceci dit, l’Afrique ne doit pas être perçu que par le prisme d’un espace de compétition et de rivalité entre puissances. Elle a maintenant un agenda propre, pas nécessairement celui des institutions régionales et des gouvernements, mais celui d’une opinion publique de plus en plus mobilisée et exigeante.

Question 3

L’offre de partenariat renouvelé de l’UE à l’UA peut elle véritablement être concurrencée par des Etats surtout à la recherche d’opportunités commerciales et de matières premières ?

L’Europe et l’Afrique ont une histoire commune et une géographie qui les rapproche. Leurs destins sont quelque peu liés, dans la mesure où les deux continents peuvent se mobiliser ensemble autour d’enjeux globaux et d’intérêts communs. Leur avenir commun, ce sont à la fois les opportunités commerciales Nord-Sud et Sud-Nord mais également le transfert de technologies qui doit être transversal à l’ensemble des échanges dans un partenariat global pour le renforcement du capital humain (éducation et santé). La relation a beaucoup souffert d’une mobilisation excessive du référentiel dramatique avec une place prépondérante pour les migrations, la sécurité, les identités, etc.

Dans le domaine de la coopération de sécurité par exemple, outre le poids des symboles à traiter, il est nécessaire de privilégier une approche « faire faire », les approches promues jusque-là ayant montré peu de résultats par le fait des Africains eux-mêmes…mais également de leurs partenaires européens qui rechignent parfois à faire confiance.

Heureusement, les contre-performances notées qui sont dues également au cloisonnement des initiatives européennes pour la paix et la sécurité et celles destinées au développement sont désormais potentiellement corrigées avec la Facilité Européenne pour la paix (FEP). Ce nouvel instrument de coopération est censé être plus modulable,  davantage tourné vers les changements structurels attendus dans la gouvernance sécuritaire en Afrique, au-delà des opérations de soutien à la paix… et donc plus efficace.