3 questions à Arthur Banga

Arthur Banga (@ArthurBanga) est maître-assistant au département d’histoire de l’université Houphouët-Boigny d’Abidjan et directeur de séminaire à l’École de Guerre de Zambakro (Yamoussoukro-Côte d’Ivoire). Après une thèse soutenue en 2014 sur la coopération militaire franco-ivoirienne, il poursuit ses recherches sur les questions de Relations Internationales et de Sécurité autour de la Côte d’Ivoire et l’Afrique. Il est membre du comité éditorial de Le Rubicon (@LeRubicon_org) et intervient régulièrement dans les médias sur les questions liées à la défense et à la sécurité. 


Question 1 

L’Afrique apparait plus présente sur la scène internationale, notamment depuis la guerre en Ukraine. Cette tragédie qui se déroule en Europe peut-elle lui permettre de faire davantage entendre sa voix, notamment sous la bannière de l’Union africaine (UA) ?

Sans avoir un rôle majeur, l’Afrique a toujours une place importante dans la mondialisation. Il faut parcourir le livre testament de l’historien Joseph Ki-Zerbo, à quand l’Afrique ? (2003) pour s’en rendre compte. Dans son ouvrage, il montre comment le continent a contribué historiquement à la mondialisation (esclavage, exploitation coloniale) mais jamais à son avantage.  Il faut tout de même admettre que la multiplication des pôles de puissances et les rivalités géopolitiques plus intenses depuis quelques décennies accroissent considérablement l’importance de l’Afrique. Et, l’invasion de l’Ukraine, ayant pris une tournure de rivalités géopolitiques voire de redéfinition des cartes, amplifie l’intérêt porté sur l’Afrique. Outre les questions purement géopolitiques, le continent se positionne comme une alternative pour les produits énergétiques et pour les matières premières. Même ses faiblesses, notamment face à la dépendance au blé de l’Ukraine et de la Russie, deviennent des questions internationales. Le Président du Sénégal Macky Sall, également Président en exercice de l’Union africaine (UA), a bien saisi cette opportunité stratégique comme le montre son voyage à Moscou début juin 2022.

Cela dit, ce chapitre ne parvient pas à faire nécessairement parler l’Afrique d’une même voix et pis encore à la faire peser. Les votes à l’ONU sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie en sont la preuve. Le continent n’a pas pu parler d’une voix.

Question 2

La dynamique positive de l’évolution de la relation entre l’Union européenne (UE) et l’UA, notamment incarnée par la présence de Charles Michel au Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique (décembre 2021) et la volonté des différentes parties de parvenir à un partenariat afro-européen renouvelé lors du Sommet Union africaine-Union européenne (février 2022), peut-elle être « impactée » par la guerre en Ukraine ?

Il faut se réjouir de cette dynamique et croire qu’elle soit maintenue avec les réformes qui s’imposent dans l’optique d’un meilleur partenariat entre deux continents que tout relie. Le fait que le « Global Gateway » n’a pas été remis en cause dans sa dimension Afrique-Europe renforce cette idée et c’est plutôt une excellente chose. Cependant, la guerre en Ukraine peut impacter nos relations vu qu’elle devient une priorité absolue pour l’Europe qui, de fait, mobilise toute son attention au détriment de projets d’investissement ou de solidarité en Afrique. On peut aussi craindre qu’une divergence de points de vue entre l’Europe et certains pays africains ne laissent un froid dans les relations.

Mais les impacts peuvent être aussi positifs. Nous avions déjà évoqué les secteurs énergétiques dans lequel l’Afrique peut être une vraie alternative à la Russie. On pourrait ajouter un accroissement des investissements et un renforcement de nos partenariats commerciaux à mesure que les multinationales et capitaux occidentaux quittent le marché russe. C’est d’ailleurs une occasion de rappeler l’enjeu géopolitique qu’est l’Afrique et, en conséquence, réclamer un changement des imaginaires. L’Afrique, au vu de ses transformations structurelles et de son importance ne peut plus être perçues uniquement comme une terre de conflit et d’aide mais comme une opportunité pour le reste du monde.  

Question 3

Considérant les aspirations communes des citoyens des deux Unions – comprenant par exemple la protection des droits de l’homme pour tous, l’égalité de genre, l’autonomisation des femmes, l’État de droit, la préservation de l’environnement et la croissance économique durable – l’avenir de l’Europe et de l’Afrique est étroitement lié. Aussi, comment mieux impliquer Africains et Européens dans la construction d’une communauté de destin commun ?    

Cela passe d’abord par donner un rôle plus important aux sociétés civiles et forces vives sur les questions Europe-Afrique. Par des consultations, les associer à l’analyse de la situation et à la prise des décisions concernant la relation afro-européenne. L’exemple du dernier sommet Afrique-France est une piste intéressante. Ensuite, accompagner des projets concrets qui concernent les quotidiens. Financement d’écoles, de centres de santé ou de projets innovants pour les start-up africaines. Enfin, renforcer les collaborations entre universités, collectivités territoriales et artistes de part et d’autre de la Méditerranée.